Le sable, une ressource qui nous file entre les doigts ?
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Le sable, une ressource qui nous file entre les doigts ?

Texte : Solène Graille, Morgane Larrieu
Illustrations : Rafaelle Fillastre

Symbole de l’été, des plages paradisiaques, du désert à perte de vue, le sable est partout dans les espaces naturels. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il est aussi niché dans les micro-processeurs de nos smartphones et ordinateurs, en immense quantité dans les bâtiments, sur les routes… et même dans les cosmétiques, les peintures ou encore les lessives. Après l’eau, c’est la deuxième ressource la plus exploitée dans le monde !
Bref, le sable est incontournable. Pour autant, la ressource n’est pas inépuisable et est mise à mal par l’exploitation intensive qu’on en fait depuis des décennies. Si prisé qu’il fait même l’objet de trafics, le sable pourrait-il nous filer entre les doigts ? Creusons le sujet.

50 milliards de tonnes

de sable sont extraites chaque année. Cela représente 6 500 kilos par personne !

La construction
Hormis les châteaux de votre enfance, vous pensez sans doute n’avoir jamais vu de bâtiment en sable… Détrompez vous : une vaste partie des constructions dans le monde est réalisée en béton, matériau composé à 59 % de sable et granulats.

C’est qu’il en faut du sable pour construire…

C’est qu’il en faut du sable pour construire…

Le sable est essentiel à l’ensemble de ces procédés ou produits.

Le sable est essentiel à l’ensemble de ces procédés ou produits.

Et vous, vous saviez que le sable était une ressource aussi cruciale ?

Le sable est au cœur de nos modes de vie ! Aujourd’hui, son extraction intensive montre toutefois ses limites. Peut-on s’en passer ?

Si le sable est partout, c’est qu’il a de nombreux atouts
… mais la balance penche dangereusement !
Le bon côté
Le mauvais côté
X

Présent dans le sol, les rivières, les deltas, les plages ou les fonds marins, le sable est une ressource accessible et abondante.

Il est essentiel dans des produits de notre quotidien aussi variés que la lessive, le verre, l’asphalte, les ordinateurs… et le béton bien sûr.

Aujourd’hui, des pans entiers de l’industrie dépendent du sable. Dans la construction surtout, le béton est un incontournable qui a fortement contribué à l’essor de l’urbanisation. Et ce n’est pas près de s’arrêter, puisque l’on estime que 70 % de l’humanité vivra en ville d’ici 2050 (contre 56 % aujourd’hui). La demande en sable pourrait ainsi croître de 45 % d’ici 2060, et elle a déjà triplé sur les deux dernières décennies.

Surexploitées, les ressources en sable ne cessent de s’amenuiser. On ne parle pas seulement de difficultés d’approvisionnement pour les besoins de la construction, mais aussi de déséquilibres profonds des écosystèmes qui entrainent la dégradation de la biodiversité et de certains milieux de vie. Des îles disparaissent, des plages reculent, des terres agricoles deviennent salées et donc incultivables… Cerise sur le château de sable, son exploitation accélère le réchauffement climatique !

Et alors que le tableau s’assombrit, l’exploitation du sable devient l’objet d’un vaste trafic illégal.

Le sable, une ressource non renouvelable
L’épopée du sable

Au cours d’un très long processus d’érosion de la roche par les vents et les pluies, de petits cailloux sont emportés et rejetés par les eaux, et peu à peu transformés en grains. Tout ce parcours prend des milliers d’années…

En bref, si le sable est produit naturellement, il ne peut pourtant pas être considéré comme une ressource renouvelable, car nous en consommons bien plus que ce que le temps long peut nous apporter.

Comment rétablir l’équilibre ?

D’un côté, la demande s’envole, et de l’autre, la ressource se tarit…

58 %

du sable extrait dans le monde est utilisé en Chine. Le pays a utilisé autant de sable entre 2016 et 2020 que les États-Unis en un siècle.

La Chine doit loger une population grandissante, néanmoins tout ce sable est trop souvent utilisé dans le vent : le pays compte 65 millions de logements vides…
C’est presque deux fois l’ensemble des logements en France !

Après la construction, la poldérisation – le fait de gagner des surfaces terrestres sur l’eau – est la deuxième source d’utilisation du sable

500M tonnes

C’est le volume de sable importé par les Émirats Arabes Unis pour construire « The World », un archipel de 300 îles artificielles au large de Dubaï.

Le sable a bien été extrait et importé depuis l’Australie, mais la crise financière de 2008 a mis un coup d’arrêt au projet. Depuis, moins d’une dizaine d’îles sont utilisées et les autres s’érodent.

23 %

Depuis 1973, l’île-État de Singapour a étendu sa superficie de 23 % en grignotant sur la mer, et n’a pas prévu de s’arrêter là !

Après avoir épuisé toutes ses ressources en sable, Singapour a pioché chez ses voisins. À tel point que tous les pays environnants – Cambodge, Malaisie, Indonésie, Vietnam – ont progressivement interdit ou fortement réglementé le commerce de sable avec l’île, première importatrice mondiale et bien trop gourmande.

Face à cet appétit insatiable partout sur la planète, pourrait-on manquer de sable ?

Les carrières,
les rivières, les plages, les fonds marins. À première vue, les étendues de sable nous paraissent infinies… de quoi étancher tous nos besoins de construction ? Il ne faut pas s’y tromper : seule une infime partie de cette ressource – environ 5 % – est utilisable à des fins industrielles. Le sable du désert, trop fin et trop lisse, ne convient pas pour la fabrication du béton. Des pays parsemés de sable comme les Émirats Arabes Unis ne peuvent donc pas l’utiliser pour leurs vastes projets de construction. Sacré paradoxe !
Et ce n’est pas tout :

25 %

De ce sable exploitable est retenu par les quelques 845 000 barrages existant dans le monde, entravant ainsi la régénération de la ressource.

Le sable qui devait rejoindre le lit des rivières puis recharger les plages reste bloqué bien en amont et se sédimente.

Alors, on diversifie les sources d’extraction.
Après les carrières sur terre, on creuse les fonds marins, les plages, les rivières…
Et cela pose de sérieux problèmes.
1. L’érosion des côtes et des rivières

Le sable est un rempart naturel contre les tempêtes, de même que les écosystèmes qui l’abritent, comme les mangroves. En l’enlevant, on accélère l’érosion et on se prive de son pouvoir protecteur.

Un problème à deux faces

Un problème à deux faces

1. On vide les plages et rivières de leur sable : Des bateaux traînent des appareils sous-marins le long des côtes qui aspirent le sable des dunes sous-marines. Cela crée des trous dans les fonds marins que la mer comble naturellement avec du sable provenant des plages, entrainant ainsi l’érosion du littoral. En Floride par exemple, 9 plages sur 10 sont en voie de disparition !
2. On enraye les mécanismes naturels de régénération : Les plages évoluent toute l’année au rythme des vagues, du vent et des courants. Naturellement, les plages perdent du sable pendant les périodes agitées et en stockent par temps calme sur les hauteurs. Des dunes ou de la végétation peuvent s’y installer, créant une zone tampon. Si des constructions remplacent la partie haute des plages, le cycle est enrayé, il n’y a plus de stockage et la plage ne fait plus que perdre du sable.
Résultat
75 à 90 % des plages reculent dans le monde.
20 à 50 millions de Bangladaises et Bangladais seront contraints de se déplacer d’ici 2050 en raison de l’érosion des rivières et de la montée des eaux. Ce sera la plus grande migration de l’histoire de l’humanité. Ce pays subit autant qu’il contribue à la situation, pour répondre aux besoin de son explosion démographique et fort développement économique. Les « dragueurs » de sable creusent de toute part, avec ou sans autorisation. Cela bouleverse le lit des rivières et la biodiversité qui y est attachée.
2. La perte de biodiversité

Le sable accueille de nombreuses espèces animales et végétales. Lieu d’habitat et de reproduction, il joue un rôle crucial dans les écosystèmes marins et côtiers.

En aspirant les fonds marins et les rivières, les exploitants emportent indifféremment du sable, des micro-organismes, des algues et des petits poissons, détruisant tout sur leur passage.

Au haut de la chaine alimentaire, les populations littorales se voient privées d’une partie de leurs moyens de subsistance.

3. La salinisation des terres agricoles

Sans sable pour lui faire barrage, l’eau de mer s’infiltre dans les terres agricoles, qui deviennent salées et donc incultivables.

C’est particulièrement vrai pour les méga-rivières asiatiques, notamment dans le delta du Mékong. Du fait de l’extraction de sable et de l’affaissement des sols, l’eau salée pénètre dans ces terres très fertiles et très cultivées, mettant en péril la sécurité alimentaire des populations.

4. La montée du trafic de sable

Échappant au contrôle, le sable fait l’objet d’un vaste trafic impliquant mafias violentes, promoteurs sans scrupules et politiques peu regardants.

Au Bangladesh par exemple, on estime que

60 à 70 %

du sable extrait l’a été illégalement.

De nombreux pêcheurs qui n’obtiennent plus rien dans les rivières asséchées sont contraints de travailler pour l’industrie du sable à leur tour.

40 à 45 %

du sable extrait au Maroc est volé sur les plages.

La nuit, des pans entiers disparaissent au gré des coups de pelle d’une main d’œuvre sous-payée par des trafiquants.

Le sable sert à construire les nouveaux hôtels accueillant des touristes toujours plus nombreux, venus profiter des belles plages marocaines… en voie de disparition !

Les plages françaises en danger ?

Heureusement, en France, l’extraction de sable sur les plages publiques à fin commerciale est interdite.

90 %

du sable qu’on extrait dans le pays provient des carrières. Mais les désordres écologiques ne s’arrêtent pas aux frontières, et le bouleversement des littoraux ailleurs sur la planète affecte les rivages français, en métropole et outre-mer.

À ce stade, vous vous sentez…

Perdu dans l’océan et son immensité

Déterminé à remonter le courant

Entre deux eaux : le mouvement ou la sédimentation

À première vue, on se sent comme un grain de sable dans l’océan, et il ne semble pas simple d’agir pour préserver les ressources en sable. C’est pourtant possible, en adoptant les bons réflexes.
On habite malin

À l’échelle individuelle, notre principale marge de manœuvre, c’est notre logement. Alors, au moment d’investir dans son chez soi, on a en tête que :

  • La rénovation consomme bien moins de sable qu’une construction.
  • À l’heure de la sobriété, pas besoin de disposer de 100 m² par personne. On vise compact et bien optimisé, ce sera autant de béton économisé.
On mise sur des matériaux alternatifs

De nombreux matériaux naturels sont tout aussi efficaces et accessibles localement : bois, chanvre, paille, argile…

Bonus : ces matériaux sont bien moins émetteurs de gaz à effet de serre que le béton, responsable à lui seul de près de 8 % des émissions mondiales !

Double bonus : bien utilisés, ces matériaux affichent de meilleures performances thermiques que le béton.

On recycle ses déchets
de chantier

45,6 millions de tonnes de déchets sont produits annuellement par le secteur du bâtiment en France. C’est plus que la quantité annuelle de déchets générés par l’ensemble des ménages (39 millions de tonnes) !

Terres, gravats… Ces déchets sont recyclables. Malheureusement, une part importante termine dans les quelques 580 décharges sauvages de gravats identifiées à ce jour, alimentées par des entrepreneurs du BTP qui font l’impasse sur le dépôt en déchetterie (obligatoire dans le cadre de la loi Agec).

Il existe deux façons de lutter contre cela :

1. Exiger un certificat de dépôt

Dans le cadre de travaux, les entrepreneurs facturent la gestion des déchets : évacuation et mise en déchèterie.

En tant que particulier, vous pouvez exiger un certificat de dépôt attestant de la mise en déchèterie de vos déchets de chantier pour vous assurer que cela a bien été fait.

2. Signaler les décharges

Le déchet appelle le déchet. Il suffit parfois qu’une personne prenne l’initiative très mal placée de laisser ses déchets de construction dans la nature pour que plusieurs personnes se passent le mot et viennent elles aussi déverser leurs déchets au même endroit…

Pour endiguer ce fâcheux réflexe, l’association France Nature Environnement a créé une application qui permet de signaler facilement des lieux de dépôts non autorisés.

Besoin de béton ?

Si vous ne pouvez vous en passer dans vos constructions, une alternative s’offre à vous :

Le béton recyclé

Les industriels du béton ont les yeux tournés vers l’économie circulaire. Le projet RECYBETON mêle depuis 10 ans des chercheurs et entreprises du BTP pour améliorer la connaissance et les pratiques de recyclage. Des bâtiments ont déjà été construits avec 100 % de béton recyclé !

Il est estimé qu’on pourrait couvrir de 20 à 35 % des besoins annuels du marché français pour ce matériau avec du recyclé, de quoi réduire considérablement l’extraction de sable…

Béton classique vs béton recyclé, quelles différences ?

Classique
VS
Recyclé
Classique
Recyclé
VS
Classique

800 kg

de sable et graviers extraits pour 1 tonne de béton, dans des conditions nuisibles pour l’environnement et les populations

Recyclé

0 kg

Pas (ou très peu) de nouvelles extractions

Classique
Des gisements qui s’épuisent
Recyclé
Des déchets qui deviennent des ressources
Et si on s’y met tous ?

Le béton classique est très installé dans le monde du BTP : architectes et entrepreneurs ont l’habitude de le travailler, le matériau est très résistant et économique.

Pour faire évoluer ces habitudes, un effort collectif est nécessaire :

  • Exiger, dans les cahiers des charges, des matériaux recyclés ou biosourcés. Que ce soit pour son appartement, sa maison, ou dans le cadre des travaux publics. Cette demande peut être remontée lors des consultations publiques pour de grands travaux par exemple.
  • Se poser les bonnes questions sur les projets d’extraction de sable, sur terre ou en mer autour de soi et exiger de la transparence.
Et enfin, on parle sable !

La prise de conscience est récente et peu de personnes ont déjà entendu parler de cet enjeu. Tant qu’on ne sait pas, on ne risque pas de changer !

Alors, pour faire bouger les lignes, le premier pas est de sensibiliser autour de soi en faisant passer le message à ses parents, ses proches, ses voisins…

Autrefois aussi invisible qu’omniprésent, le sable fait désormais l’objet d’une vraie attention. Le programme des Nations-Unies pour l’environnement s’est emparé de ce sujet en 2014. Cette longue prise de conscience a abouti à une recommandation stratégique en 2022, à l’attention de l’ensemble des 193 États membres, qui invite notamment à : Reconnaître le sable comme une ressource stratégique, Mieux cartographier et surveiller son extraction, Renforcer les cadres réglementaires nationaux et internationaux, Développer l’économie circulaire, ainsi que matériaux et techniques alternatives

Si vous aimez la plage, vous avez désormais des clés pour les protéger partout dans le monde !

Pour aller plus loin
Les docus à regarder
LE docu qui a mis la lumière sur le sable et son commerce : « Le Sable : Enquête sur une disparition » de Denis Delestrac pour Arte
La série d’articles à dévorer
« Marchands de sable », une enquête signée Le Monde en six volets qui vous emmène aux quatre coins de la planète
Le podcast à écouter
L’enquête « Trafic de sable en Inde : un terrain miné pour les journalistes », un précieux témoignage par Radio France et Forbidden Stories
Alors, vous sentez-vous prêt à mettre votre grain de sable dans ce rouage infernal ?

Je suis déjà mobilisé sur ce sujet !

Je vais en parler autour de moi

Je voulais justement faire des travaux, ça tombe à pic !

Voilà, c’est fini !

Texte : Solène Graille, Morgane Larrieu
Illustrations : Rafaelle Fillastre
Dernière mise à jour : Avril 2024

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