Quand la guerre est à nos portes
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Quand la guerre
est à nos portes

Auteur : Alexandre Millet
Illustrations : Anna Waldberg

Tiiing… Une notification. La ligne de front recule, les missiles pleuvent. À quelques milliers de kilomètres, la guerre fait rage en Ukraine et dans la bande de Gaza. Dans la douceur de nos draps ou les fesses vissées sur les toilettes, le visage illuminé par l’écran, des images terrifiantes de civils pris pour cibles, de villes réduites en cendres et de vies brisées nous assaillent. C’est ainsi que bien que géographiquement éloignés, ces conflits s’imposent inlassablement à nous : dans nos poches, sur nos ondes, à la télévision.

Quel étrange sentiment de se retrouver soudain confronté à ces réalités simultanées : immergé quelques instants seulement dans l’enfer quotidien vécu par ceux qui sont au cœur des conflits, avec la chance inouïe de pouvoir s’en extirper presque aussitôt.

Et cet enfer, c’est encore le quotidien de bien trop de personnes.

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En 2023, neuf conflits majeurs ont été recensés, chacun ayant causé plus de 1 000 morts.

Outre l’Ukraine et Gaza, on compte le Burkina Faso, le Myanmar, le Nigeria, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen, où les violences ciblées envers les civils persistent inexorablement…

Mais alors la question qui tue, c’est :

 

Pourquoi fait-on toujours autant la guerre ?

Thomas Hobbes, dans le chapitre XIII de son Léviathan, identifie trois passions à l’origine des conflits :

Thomas Hobbes, dans le chapitre XIII de son Léviathan, identifie trois passions à l’origine des conflits :

La cupidité

Attaquer pour le profit, une passion qui se manifeste par le désir de posséder ce que l’autre a, alimentant jalousie et envie.

La peur

Attaquer pour la sécurité, pour se défendre : une violence exacerbée par l’anticipation de menaces potentielles.

La vanité

Attaquer pour la gloire : un besoin qui pousse les individus à prouver leur supériorité.

En Ukraine, la Russie cherche à contrôler les ressources agricoles et craint l’influence de l’OTAN.

En Israël-Palestine, les enjeux de sécurité et de territoire dominent.

Ces motifs montrent une constante dans l’histoire humaine : la lutte pour le pouvoir et la sécurité.

Une évolution des conflits

Ces passions humaines expliquent la nature des conflits, mais qu’en est-il de leur évolution ? Depuis la fin de la guerre froide, les conflits ont changé de visage. Les guerres entre pays sont presque devenues impossibles à cause de l’arme nucléaire. Aujourd’hui, les guerres internes, souvent liées à des tensions ethniques, religieuses ou politiques, sont les plus courantes. Parfois, un pays combat avec l’aide d’autres pays et d’organisations internationales. Ces conflits impliquent de nombreux acteurs, compliquant leur gestion, et surtout leur résolution.

Une tragédie oubliée

Prenons un exemple concret pour illustrer la brutalité des conflits modernes : la guerre du Tigré en Éthiopie.

Ce conflit a été le plus meurtrier de ce début de XXIe siècle, avec plus de 600 000 civils tués. La population a souffert de blocus, privations de nourriture, soins et autres ressources essentielles. Les atrocités commises rappellent l’urgence d’une réponse humanitaire adéquate. Cependant, la communauté internationale a souvent été lente à réagir et l’ONU semble incapable de prévenir de nouvelles guerres.

L’ONU à la peine

Depuis le début de la guerre à Gaza, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas réussi à s’accorder sur une résolution de cessez-le-feu, en raison du veto des États-Unis, pays allié d’Israël. Et bien évidemment, la Russie a bloqué une résolution dénonçant ses tentatives d’annexion illégale de quatre régions de l’Ukraine.

Les vetos des membres permanents paralysent l’action de l’ONU, remettant en question son efficacité dans la prévention et la résolution des conflits. Le système de veto est souvent critiqué pour privilégier les intérêts nationaux au détriment de la paix mondiale.

L’ONU, un acteur mondial en faveur de la paix

L’ONU, un acteur mondial en faveur de la paix

1941
Pour comprendre pourquoi l’ONU est souvent paralysée, il est utile de revenir à ses origines. La création de l’Organisation des Nations Unies (ONU) a été évoquée dès 1941 dans la Charte de l’Atlantique. En 1945, à la conférence de San Francisco, 50 nations en guerre contre l’Axe ont fondé l’ONU. Les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale en sont les membres fondateurs, mais les vaincus ont été admis progressivement. L’objectif était de résoudre pacifiquement les conflits et de maintenir la paix mondiale.
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L’une des clés du fonctionnement de l’ONU est le Conseil de sécurité, chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il dispose de pouvoirs spécifiques tels que l’établissement de sanctions et l’intervention militaire. Cependant, les vetos des cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) compliquent souvent l’adoption de mesures efficaces. Cette structure explique en grande partie l’impuissance de l’ONU face à certains conflits.
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En dépit de ces blocages, l’ONU comprend une vingtaine d’institutions spécialisées qui jouent un rôle crucial dans l’amélioration des conditions de vie à travers le monde. La FAO, le FMI, la Banque mondiale, l’OMS, l’UNESCO, et l’UNICEF sont autant d’agences œuvrant dans des domaines spécifiques. Malgré leur impact positif, ces institutions sont souvent confrontées à des défis de financement et de coordination.
Demain ?
Pour que l’ONU puisse mieux répondre aux crises actuelles, des réformes sont nécessaires. Plusieurs propositions ont été avancées : soumettre le droit de veto à davantage de conditions et permettre à l’Assemblée générale de surmonter un veto d’un membre permanent par un vote à la majorité qualifiée. Ces réformes visent à rendre le Conseil de sécurité plus inclusif et efficace, en espérant ainsi renforcer la capacité de l’ONU à maintenir la paix mondiale.
Indispensable !
Malgré ses lacunes, l’ONU reste une institution indispensable. Le Conseil de sécurité est un des rares endroits où les grandes puissances peuvent se rencontrer et conclure des accords. Les Nations unies jouent un rôle crucial en Afghanistan, gérant des écoles et fournissant une aide d’urgence. Les agences de l’ONU apportent également de la nourriture et des médicaments dans des zones de conflit comme Gaza et la Syrie. Leur action démontre l’importance d’une telle organisation, même imparfaite.
La force de la mobilisation citoyenne

Si les institutions internationales sont essentielles, la mobilisation citoyenne joue également un rôle crucial.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les mouvements pacifistes et anti-guerre ont influencé les décisions politiques. Les manifestations contre la guerre du Vietnam, la guerre en Irak, et aujourd’hui les guerres en Ukraine et à Gaza montrent l’importance de l’activisme.

Ces mouvements montrent que les citoyens peuvent influencer les décisions politiques et pousser pour des résolutions pacifiques.

Les étudiants en action

Les étudiants, en particulier, sont souvent en première ligne de ces mobilisations. Aux États-Unis, des mouvements comme « Students for Justice in Palestine » organisent des campements en solidarité avec Gaza. Ils dénoncent les liens de leurs universités avec Israël et appellent à des actions concrètes pour soutenir la cause palestinienne. Ces mobilisations, souvent relayées par les réseaux sociaux, amplifient leur impact et montrent la puissance de l’engagement étudiant.

Les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel dans la mobilisation contre les conflits. Ils permettent une diffusion rapide et massive d’informations et d’images en provenance du terrain. Cependant, ils augmentent également le risque de propagation de fausses informations, comme la rumeur des 40 bébés égorgés dans un kibboutz, soulignant ainsi l’importance de vérifier les sources de tout ce que l’on lit ou voit. Par ailleurs, les réseaux sociaux peuvent servir de leviers pour inciter et faciliter l’action citoyenne, comme lors du « Printemps arabe. »

Les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel dans la mobilisation contre les conflits. Ils permettent une diffusion rapide et massive d’informations et d’images en provenance du terrain. Cependant, ils augmentent également le risque de propagation de fausses informations, comme la rumeur des 40 bébés égorgés dans un kibboutz, soulignant ainsi l’importance de vérifier les sources de tout ce que l’on lit ou voit. Par ailleurs, les réseaux sociaux peuvent servir de leviers pour inciter et faciliter l’action citoyenne, comme lors du « Printemps arabe. »

#alleyesonrafah

Un exemple récent et marquant de mobilisation en ligne est le partage massif d’une image sur les réseaux sociaux après une frappe meurtrière dans un camp de déplacés à Rafah, au sud de Gaza. L’image, générée par une IA, montre un camp de déplacés avec le message « All Eyes on Rafah ». Cependant, son aspect lisse et esthétiquement acceptable gomme complètement la brutalité du conflit qu’elle est censée représenter.

47 millions de partage

L’image a été partagée 47 millions de fois en quelques jours, illustrant ce qu’on appelle le « clictivisme » : un engagement minimal et automatisé où l’on partage un slogan ou une image sans véritable réflexion, en donnant l’illusion de s’engager, de défendre une cause. Le problème avec ce type de phénomène, c’est que cette hypervisibilité soudaine a un effet paradoxal : en rendant l’image suffisamment lisse et acceptable pour qu’elle soit massivement partagée, elle finit par invisibiliser la véritable horreur de Rafah.

Face à tant d’horreur, que pouvons-nous faire, citoyens ? Les institutions internationales, malgré leurs lacunes, restent des plateformes essentielles pour la médiation des conflits et la fourniture d’aide humanitaire. Cependant, la mobilisation citoyenne demeure une force cruciale pour pousser les gouvernements et les organisations à agir en faveur de la paix. Ensemble, en tant que citoyens engagés, nous pouvons contribuer à un monde plus juste et plus pacifique.

On s’informe !

On reste toujours trèèèèès vigilants à identifier la source de ce qu’on lit, en essayant de comprendre les causes profondes des conflits avant d’en parler. On prête attention aux attaques de désinformation, comme l’opération « Portal Kombat » en février dernier, conçue pour légitimer l’invasion de l’Ukraine et influencer les soutiens de Kiev, dont la France. On s’appuie sur le travail d’authentification des vidéos, enregistrements ou images qui circulent, réalisé par des médias de confiance comme Le Monde, Libération, Le Figaro, La Croix, etc.

On peut également consulter la cellule de fact-checking de l’AFP et la rubrique Les Décodeurs, où les journalistes du Monde traitent des rumeurs et des intox qui circulent sur la Toile pour distinguer le vrai du faux.

On soutient les médias indépendants

Pour suivre la guerre en Ukraine, on peut lire et soutenir financièrement « The Kyiv Independent ». Une trentaine de reporters ukrainiens ont lancé ce média anglophone peu après le début de la guerre. Depuis, il bénéficie d’une large audience et d’un soutien financier international. On peut aussi regarder « 29 jours à Marioupol » de Mstyslav Chernov, témoignage historique du début de la guerre en Ukraine, récompensé par le prix Pulitzer et l’Oscar 2024 du meilleur documentaire. Ce film montre des images marquantes de la destruction de la ville et des atrocités perpétrées par l’armée russe.

On défend le droit à l’information

Depuis le début de la guerre, pratiquement aucun journaliste étranger n’a pu entrer à Gaza autrement que sous la supervision de l’armée israélienne. Les journalistes gazaouis, seuls à pouvoir raconter le drame de l’intérieur, risquent leur vie pour informer. Selon Reporters Sans Frontières, au moins 100 journalistes ont été tués depuis le 7 octobre. Parmi eux, 30 sont morts dans l’exercice de leurs fonctions, d’autres chez eux, sous les bombes. Il est maintenant documenté qu’ils ont tous été délibérément visés par le gouvernement israélien à travers des attaques ciblées et la destruction d’infrastructures abritant des médias.

On peut découvrir et soutenir le Gaza Project, où 50 journalistes de 13 médias différents, coordonnés par Forbidden Stories, ont travaillé ensemble pour enquêter sur la mort de ces journalistes à Gaza, ainsi que sur les arrestations et menaces dont ils sont victimes en Cisjordanie.

On soutient les ONG humanitaires

On peut soutenir les ONG qui œuvrent sur le terrain pour fournir une aide humanitaire. MSF a lancé un fonds d’urgence pour Gaza pour continuer à apporter des soins sur le terrain. L’UNRWA apporte de l’aide alimentaire aux réfugiés palestiniens. D’autres ONG, comme Action contre la faim, la Croix Rouge française, le Secours populaire, Médecins du Monde et Handicap International, ont aussi des fonds spéciaux pour Gaza et l’Ukraine. Ces organisations apportent une aide précieuse dans les zones de conflit.

On affiche son soutien

On peut afficher son soutien à la paix en accrochant des drapeaux, en participant à des manifestations, en continuant de parler de ces conflits. Tout ce qui permet de faire en sorte que ces conflits ne soient pas complètement balayés par les vagues incessantes d’actualités est essentiel. La visibilité continue et l’engagement actif peuvent aider à maintenir la pression sur les décideurs pour trouver des solutions pacifiques.

On discute… intelligemment

Être nuancé aujourd’hui, c’est faire preuve de résistance ! Résister à ces débats enflammés où l’on recherche le clash, l’opposition, le tweet cinglant. En mettant en lumière les complexités des enjeux, on réduit les stéréotypes et les visions simplistes qui nourrissent la polarisation des conflits. Des discussions nuancées mènent à des échanges de meilleure qualité avec ceux qui ont des opinions politiques différentes. Par exemple, s’indigner de l’horreur vécue par la population gazaouie ne signifie pas cautionner le Hamas, justifier le massacre du 7 octobre ou alimenter l’antisémitisme. Il est possible de reconnaître la complexité de la réalité géopolitique de la région tout en étant horrifié par les souffrances des populations civiles sous le joug de leurs dirigeants.

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